posted by Rach on Nov 25, 2012, 5:12:28 PM

L'événement était drôle, mais également tristement révélateur : François Hollande a écrit un seul mot en anglais dans sa lettre de félicitations à Barack Obama pour sa réélection, et ce mot était mauvais. “Friendly” pour “Amicalement” est tout simplement un non-sens.

La nullité des français en langues étrangères—et particulièrement en anglais, lingua franca du monde moderne—est avérée. La France se situe au 25ème rang du classement du TOEFL, test international d'anglais. Le problème va du garçon de café tentant inintelligiblement de communiquer avec des touristes médusés jusque, comme on l'a vu, aux niveaux les plus élevés de la société française. L'incompétence linguistique des responsables français est une blague récurrente des sommets européens tout comme des grandes entreprises internationales.

A qui la faute ? L'histoire, d'abord. Comme le signale l'expression “lingua franca”, le français a été pendant très longtemps la langue internationale, eu égard à notre rayonnement politique aussi bien que culturel. Pendant très longtemps le français était la seconde langue pratiquée par tous, et donc les français n'avaient pas besoin d'apprendre une autre langue pour voyager.

Le protectionnisme culturel, ensuite. De la loi Toubon aux exigences de passage de musique en langue française à la radio, notre protectionnisme culturel fait tout son possible pour nous protéger des langues étrangères. Il est évidemment absurde de penser que l'exposition aux langues étrangères pourrait affaiblir la langue française, alors qu'elle s'en est au contraire enrichie au travers de l'histoire. Le pire coupable est ici la pratique quasi universelle du doublage des films et séries télévisées.

Passons sur le fait que le doublage est une amputation artistique. Passons aussi sur le fait que cette pratique du doublage renforce la présence des productions audiovisuelles anglo-saxonnes dans notre paysage, alors que nous sommes censés vouloir les protéger.

Il suffit de constater que dans les pays scaninaves et aux Pays-Bas, presque tout le monde parle un anglais courant, et que cela est du à la diffusion des séries américaines en version originale sous-titrée. (Ca ne ferait pas de mal non plus à la capacité de lecture des français.)

Il faut, enfin, hé oui, incriminer l'école. L'enseignement des langues dans l'école française est—comment dire ça poliment?—une torture.

Les langues vivantes en France sont enseignées comme des langues mortes. Mus par un cartésianisme extrêmiste, les programmes sont concentrés sur la grammaire et l'apprentissage de règles théoriques, et se fondent principalement sur la mémorisation. Rien de plus contre-intuitif ! Rien de plus rebutant ! C'est en fait un miracle que certains d'entre nous sachent déjà aligner trois mots d'anglais...

La faute au cartésianisme et aussi à la fonction de reproduction sociale de l'école : l'allemand, langue peu répandue, est préférée par les parents bourgeois, à l'espagnol, comme seconde langue. Pourquoi ?

Pas parce qu'il vaut mieux dans sa vie parler allemand qu'espagnol, mais parce que l'allemand est réputé plus difficile. L'objectif des langues, dans l'esprit des parents (et donc des enfants et de l'école) n'est pas d'apprendre une langue, mais de montrer qu'on est “fort en thème”, puisqu'il est admis qu'apprendre une langue doit être difficile. A ce compte-là, les cours de langue au collège pourraient être profitablement remplacés par des séances de mémorisation de l'annuaire... (A noter que l'apprentissage de la grammaire française obéït aux mêmes objectifs...)

Réfléchissons deux secondes : comment un enfant apprend-il une langue ? Doit-on lui faire mémoriser des règles de grammaire, des déclinaisons et des verbes irréguliers ? Bien sûr que non. Un enfant est plongé dans un univers où on parle la langue, son cerveau l'aborbe, et puis un jour, il parle, en phrase complètes. Au début pas très bien, mais c'est en continuant à entendre et à pratiquer la langue que (avec un peu de chance...) il s'améliore.

Il est parfaitement connu que la seule méthode viable pour apprendre une langue étrangère est l'immersion. Mon cas personnel est peut être ici éclairant : je suis bilingue anglais. Je travaille tous les jours en anglais, et je suis souvent publié par des journaux américains. Mes amis américains me disent que je m'exprime sans accent. Ai-je vécu longtemps dans un pays anglo-saxon ? Jamais plus de 15 jours en continu. Est-ce que j'ai bien travaillé à l'école ? Non, c'est le contraire. Je suis bilingue anglais parce qu'en rentrant à la maison après l'école, au lieu de faire mes devoirs, je regardais des séries américaines en version originale. J'ai ensuite beaucoup pratiqué, grâce à mon addiction à internet.

Je considère que je n'ai aucun mérite d'avoir appris l'anglais : il m'a suffi de faire le contraire de ce que préconise l'école et de ce que fait notre société.

Il n'y a absolument aucun doute que si l'Education nationale distribuait des DVD de séries en version originale au lieu de payer des enseignants, les français parleraient beaucoup mieux les langues étrangères (et perdraient moins de temps). Mais cela supposerait que nous revenions sur notre nombrilisme culturel. Cela supposerait aussi que nous considérions que l'objectif de l'école est d'enseigner, et pas de participer à un classement social par mesures arbitraires.

Nous en sommes encore loin...

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